Bilan rapide et non chiffré

Une amie me demandait l’autre jour comment ça se passait à la ferme, si on « s’en sortait ». Cela fait plusieurs fois qu’on me pose la question, et évidemment, c’est justifié. Je profite de lui avoir répondu par écrit pour faire un presque copier/coller qui m’arrange et qui permet de faire le point :

Alors il y a déjà beaucoup de points positifs :

  • on se débrouille plutôt bien techniquement, même si bien entendu il y a des améliorations à faire,
  • du coup, on peut remplir sans souci nos paniers d’AMAP en variété et sans problème de quantité (si quelqu’un de concerné n’est pas d’accord, il ne faut pas hésiter à en discuter),
  • les légumes sont beaux, sains et bons (on peut aussi carrément s’améliorer dans la taille pour certains légumes, c’est notamment un gros problème de sol qu’on a et qu’on essaie de régler),
  • je pense qu’on pourrait même augmenter nos ventes d’une dizaine de paniers mais je préfère être sûre avant de me lancer . Ce qui fait qu’on se situerait à +15% de ce qui est prévu comme nombre de panier sur une telle surface dans le peu de simulations qui existent (du moins, qui existaient quand j’ai fait mes propres études économiques, il y a peut-être plus de données maintenant. Ca, j’en suis très fière parce que j’estime que c’est uniquement grâce à ma super organisation et à ma capacité à tout envisager en bloc et dans les moindres détails et à court et moyen terme que c’est possible (un peu de fierté, ça permet aussi de mettre du coeur à l’ouvrage ;))
  • on habite à la campagne, dans un coin sympa,
  • on a ici trouvé un bon groupe de copains, alors qu’on était pas du tout de la région (je reste persuadée que le réseau « bio/écolo » y est pour beaucoup)
  • j’ai la meilleure salariée du monde. y’a rien à redire là dessus, c’est comme si c’était moi, voire en mieux. Non, je ne la prête même pas.
  • je salarie quelqu’un et ça c’est une belle réussite
  • Fred et moi pour le moment on passe nos journées ensemble et ça on kiffe
  • on a pas quasi de perte et on vend tout ce qu’on produit, grâce au système d »AMAP,
  • on a des animaux ! (enfin, « j’ai », parce que je crois que Fred pourrait s’en passer même si il trouve ça sympa).
Bon, sinon y’a des points cruciaux négatifs et qui pour certains risquent de poser rapidement de GROS problèmes :
  • financièrement, le bilan est excessivement tendu : je peux payer ma salariée, les charges salariales, mes charges et celles de fred (il est conjoint collaborateur = corvéable à merci mais pas payé mais quand même protégé), les emprunts. Pour les dépenses mensuelles, c’est déjà une autre paire de manche et je peux les honorer tant qu’il n’y en a pas trop, sinon, on est obligé de renflouer la caisse entreprise avec de l’argent privé et là à force, ben, on en a plus, d’argent privé. Et finalement, pour les dépenses imprévues, c’est très, très  difficile et bien entendu, il est impossible de me payer. Ajouté à ça que j’ai pour le moment certaines exonérations du fait que je viens de m’installer qui vont diminuer d’année en années (donc les charges augmenter), on voit que la perspective d’amélioration n’est pas évidente.  Il faudrait minimum 1000€ de chiffre d’affaires mensuel supplémentaire ; hors, même si j’augmente de 10 paniers, ça ne ferait que 400-500€/mois. Je peux baisser certaines charges, mais c’est assez limité. et comme je l’ai dit, on a pas de perte ! Et les paniers, c’est la meilleure façon de vendre : la plus rentable la plus rapide la moins coûteuse en production (puisque pas de perte). Outre le côté monétaire, crucial, ne nous voilons pas la face, franchement bosser autant pour RIEN DU TOUT, c’est vraiment pas satisfaisant, ni épanouissant (enfin, pas besoin de faire un dessin, je pense que n’importe qui peut comprendre),
  • Fred devrait bosser à l’extérieur, c’est ainsi qu’on avait prévu l’affaire. Bon il a dû démissionner de son travail pour venir ici, et on comptait bien qu’il ne trouve pas de travail tout de suite pour qu’il puisse m’aider un maximum. Maintenant, il va vraiment falloir qu’il trouve et quand il aura du boulot, il y aura une personne de moins à la ferme et même si on est organisé au petit poil, ça va être chaud, très, très chaud. Je ne peux pas non plus payer une personne de plus ; même pas 3-4 mois de saisonnier, ce qui serait pourtant nécessaire. Ni même augmenter les horaires de ma salariée. Et la perspective de bosser PLUS m’angoisse. Qui plus est, ça veut dire qu’in ne serait plus là non plus pour s’occuper de la maison et des repas ce qui me fera « perdre » du temps (et oui, Fred est meeeeeeeerveilleuuuuuuuux, au moins autant que moi :P, un vrai homme d’intérieur). Si on pouvait, financièrement, on resterait tous les deux à bosser là, c’est vraiment ce qui nous plait. mais je ne peux pas me passer de ma salariée ; en plus éthiquement, ça ne me vient même pas à l’esprit.
  • je voudrais pouvoir payer plus ma salariée, parce que vu le travail, ça me semble juste, même quitte à pas me payer mais même ça c’est pas possible, ou encore,  avoir un second salarié genre 20h/semaine quitte là encore, à pas me payer mais à bosser moins. Mais là encore, c’est complètement impossible,
  • on a beaucoup de boulot. bon ça de passe de détail. je ne sais pas combien de temps on peut gérer moralement et physiquement ce genre d’excès, sachant que ça va pas s’améliorer quand Fred bossera.
Pour résumer, d’un point de vu personnel, c’est satisfaisant, et on pourrait s’en contenter, si on était philosophe. D’un point de financier, ça va devenir critique dans l’année qui vient et malheureusement, c’est toujours le nerf de la guerre ; et puis ça me fait suer de bosser autant et de pas récupérer les fruits de mon labeur.
Bon, on mourra jamais de faim.

Cet article a 17 commentaires

  1. Florence

    Il faudrait peut-être que les amapiens aident plus? Des tâches faciles, pour que ça ne vous fasse pas perdre du temps à expliquer, ou pire à repasser derrière!

  2. Delphine

    Je trouve que les AMAPiens apportent déjà une aide conséquente. De plus, pour le moment, on est bien calé niveau charge de travail : vous êtes là pour les gros coups de bourre et le reste du temps, même si c’est intense, on commence à être rodé. Qui plus est, plus de participation ne changerait sûrement pas grand chose à la charge de travail quotidienne et incompressible 🙂

  3. Magali

    Dans une autre amap on dit ne pas parvenir à dépasser le stade de la survie, toi tu dis être sûre de ne pas mourir de faim….. ça fait peur .
    La vente en amap peut-elle suffire à vous faire vivre décemment ?

  4. Delphine

    La vente en AMAP est la plus rentable et le restera toujours. Le problème n’est pas le débouché je pense, puisque je vends tout ce que je produis et que je produis toute ma surface.
    Le problème est le coût trop élevé des divers charges (je ne parle pas des charges sociales), le coût à l’achat des exploitations bien supérieur à celui qu’il était ne serait-ce qu’il y a 10 ans, et le prix des légumes qui ne reflètent pas DU TOUT le travail nécessaire pour les produire, voire, parfois même, ne couvre même pas les intrans.
    Et encore, je n’ai pas à me plaindre puisque j’ai le meilleur système de vente. Il y a pire, et de nombreux maraîchers conventionnels sur des petites surfaces comme la mienne qui arrêtent, tout simplement.

  5. David

    Nous concernant, nous sommes choqués de la situation et déçus que la proposition d’augmenter chaque panier d’1€ (soit 4€ de plus par mois) n’ait pas remporté l’adhésion lors de la réunion bilan du 9 décembre. La pérennité de notre AMAP en dépend!

  6. Marie-Zig

    J’ai tout lu et c’était l’an dernier…

    C’est vrai que sur l’île, ils ferment une grande partie de l’année et qu’ils ne sont pas propriétaires (c’est le conservatoire du littoral le possédant).

    Ils ont installés en SCOP,
    J’ai vu qu’en Auvergne il y avait des possibilités de prêt à 0% pour aider les petites structures en difficulté. J’ai un doc PDF mais je ne peux pas le joindre.

    Ce que dit David, juste au dessus, augmenter le panier d’un euro, ça changerait quelque chose cette année ?

    Je connais plein de petits maraîchers bio ici, ils vivent un peu en marginaux (formule soft) mais ils élèvent quelques cochons et quelques bovins pour la vente de viande en direct.

    J’ignore comment ils s’en sortent. Je sais que les plus structurés achètent ce qu’ils n’ont pas produit à d’autres, bio également, en zone moins humides et plus chaude. Ce n’est pas le but bien sûr mais ça leur permet de conserver leur clientèle des marchés.

    Je ne trouve pas juste qu’on ne puisse pas vivre de son travail ni qu’on perde sa vie à ne pas la gagner au minimum.

    Allez, tu montes une SCOP avec Fred et ta perle et tu cherches des actionnaires, j’en suis. Et si la SCOP arrive juste à joindre les deux bouts, tu n’as pas d’actionnaires à rémunérer (j’ai un fils gérant de SCOP).

    Ça fait des mois que je viens mater en douce ici, j’ai pas envie que ça s’arrête.

    Et je ne parle en citadine, je vis au plus près de tout ça, dans un hameau paumé des Monts d’Arrée.

    Sûr que Fufu génère plus de compassion…

  7. Delphine

    Pour tout te dire, l’année dernière sur 3 AMAPs 3 réunions de fin d’année avec bilan de l’exploitation/de l’amap/des paniers ou j’explique bien tout comme dans le blog et avec un tas de super tableaux ; une prestation pour laquelle j’ai toujours un tas de compliments et ou chacun comprend très bien parait-il, il n’y a eu des réactions en réponse au bilan négatif que dans 1 AMAP, celle dont fait partie la famille David.
    Rien que ça, ça peut poser question non ?
    On a eu une heure de discussion intéressante et Mr David était très virulent, et je l’en remercie, pour demander l’augmentation de 10% du prix des paniers. À l’époque, c’est essentiellement moi qui n’étais pas d’accord (note que j’étais pas d’accord non plus pendant un moment pour la lino), parce que j’avais peur que cela entraîne la désertion d’une trop grand partie des adhérents. On a trouvé une autre solution, mais ce n’est pas suffisant.

    Pour cette année, j’ai ravalé ma fierté ou p’tet juste réfléchi 5 minutes et j’étais partie sur l’idée que j’allais annoncer l’augmentation de 10% de tous mes prix et donc proposer soit l’augmentation des prix des paniers d’autant, soit le même prix mais avec moins dedans, ce qui permet d’accueillir des paniers supp. (je préfère la première solution). Il faudrait que les 3 AMAPs adoptent le même systèmes pour pas que je me fasse trop suer derrière en organisation. Seulement, avec l’hiver qui s’annonce difficile, je ne sais pas ce que je vais faire : il va y avoir moins de légumes, sûrement, et même si j’ai proposé de compenser à l’avance, je ne sais pas si les gens vont accepter à la fois une augmentation du prix et une diminution de la taille du panier les 1ers mois de 2013. C’est stratégique, il ne faut pas que cela fasse partir  » trop » d’AMAPiens, sinon je suis perdante.

    Quant à la SCOP… écoute on verra, tu vois que je sais changer d’avis, même si j’aime pas trop, ^^, mais pour l’instant, non. Pour ce qui est de la terre, on est proprio, enfin, en cours de, pour la bonne raison qu’on pense à notre avenir : ne pas avoir de loyer à payer quand on sera « retraité ». Tu me diras vu la vitesse à laquelle on s’appauvrit et le toit qu’on ne peut donc pas réparer, c’est mal barré pour être cosy quand on aura 60 ans (si on peut s’arrêter à 60 ans hein, on va pas se gêner). Pour ce qui est du matos, c’est peut-être une question à creuser, mais on n’en a vraiment pas beaucoup, et on ne prévoit pas de remplacement pour le moment. Je garde ça dans un coin de ma tête.

    Je suis d’accord avec toi et avec ton insurrection, ça me rend dingue aussi.

    Et je sais tout le reste, je regarde aussi chez toi ^^.

    merci encore.

  8. Mousty

    Cette situation me désole tellement… il doit bien y avoir une solution pour s’en sortir, c’est trop injuste avec le boulot que vous abattez que vous ne parveniez pas à avoir la tête hors de l’eau !

  9. Delphine

    écoute. je suis en fait très pessimiste. Mais j’ai le dent dure. J’ai envie de hurler à la face du monde parfois et de faire des lettres ouvertes dans tous les journaux. Mais est-ce que ça servirait à quelque chose ???
    On peut, je crois, compter sur nos amis. Ca fait déjà du bien.

  10. Mousty

    Note que c’est peut-être pas une si mauvaise idée, la lettre ouverte… répandue dans les journaux et par mail, ça pourrait sensibiliser pas mal de gens au problème. Bon après, beaucoup tiennent à leurs œillères, mais c’est un travail de fond, petit à petit…

  11. Delphine

    tu touches du doigt LE problème selon moi : les gens tiennent à leurs oeillère, même les AMAPiens.
    la lettre ouverte, j’y pense depuis longtemps. Mais j’ai à la fois pas le temps et pas trop le courage. Des fois, je ne me reconnais plus. 🙁

  12. david

    Nous sommes toujours super peinés de la situation dans laquelle vous vous trouvez. Je trouve la société parfois bien hypocrite à se revendiquer de gauche, humaine, sociale, bio-écolo, « roots » mais à remballer bien vite toutes ses nobles idées, une fois que le porte-monnaie ou le petit confort perso risque d’être égratigné. Votre labeur et votre persévérance forcent notre admiration et devrait vous permettre une certaine décence de vie. J’espère vivement que les amapiens vont en prendre vite conscience. En tout les cas, l’un de nous sera présent à la prochaine réunion bilan et on est remontés comme des coucous 😉
    Courage!
    emmanuelle

  13. Delphine

    héhé merci Emmanuelle. Voilà un commentaire qui m’a fait du bien. Je suis parfois critique et peut-être lapidaire en faisant des généralités. Il y a quand même la moitié des AMAPiens qui sont engagés dans cette démarche en connaissance de cause, je ne l’oublie pas. Mais en ce moment c’est dur, moralement, en partie parce que je reproche la même chose que toi à la société. Toutes les AMAPs ne fonctionnent pas pareil et ne réagissent pas pareil non plus.
    merci encore et merci pour votre implication.

  14. Hervé

    donc deux ans et demi plus tard c’est toujours tendu mais vous êtes toujours là. Un espoir de trouver l’équilibre ?
    T’as la foi quand même, bravo !

  15. Delphine

    Franchement, je ne pense pas pour l’équilibre, c’est pas du défaitisme, c’est mathématique. Et j’ai la « foi » parce que j’ai pas trop le choix : quand on a des prêts aidés on est obligé de conserver son activité pendant 5 ans sous peine de rembourser les prêts. Je détaillerais tout ça quand je ferais l’article en question (ou les articles)
    Mais c’est rageant surtout parce que c’est vraiment un boulot qui me plait et que bosser avec Aline, c’est le kiff, pour toute les deux.

  16. Hervé

    mais alors …. que disent les mathématiques pour quand les 5 ans seront passés ?
    enfin je peux attendre ta note bugetaire hein.

  17. Delphine

    En gros que ça ne sera toujours pas rentable et que quand j’aurais rembourser le plus gros des prêts en 2017, je pourrais enfin réparer les tracteurs et investir, augmenter un peu Aline, et peut-être me payer un truc comme 400€/mois.

    mais cet article devient une urgence, dans le coin beaucoup de question sont posées sur la rentabilité et comme je suis un des rares exploitansts à calculer mon prix de revient, ça peut devenir une base de travail et de réflexion intéressante, faut que je saute sur l’occasion.

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