De la génétique des semences et des générations F1 non reproductibles

On m’a souvent posé les questions « est-ce que tu réutilises les graines après récolte », « qu’est ce que ça veut dire F1/hybride », « il parait que les hybrides sont stériles », etc.. auxquelles je me suis promis un jour de répondre.

Ce jour faste est enfin arrivé.

Préambule

  • Cet article aborde des bases de génétique et de probabilités. J’ai essayé de simplifier le propos pour que ce ne soit pas rédhibitoire à la lecture et le plus compréhensible possible. Il y a donc, d’un point de vu strictement scientifique, du vocabulaire manquant et sûrement des imperfections. Les puristes voudront bien m’excuser, j’ai dû moi-même me faire violence. Si toutefois il y a des erreurs, merci de m’en faire part (je compte sur vous entre autres, Mousty chat savant, cousin Sylvain et les profs de SVT qui suivent) et je corrigerai,
  • C’est une oeuvre de fiction : bien entendu, les tomates au goût de poisson d’existent pas (pour la simple raison que personne n’en achèterai). J’utilise cette astuce pour que visuellement, les dessins apportent un max de compréhension,
  • Je rappelle qu’en gros, on n’a pas le droit, en tant que maraîcher, et pour certaines aussi en tant que jardinier, de reproduire ses semences. Voir les articles correspondants pour plus de précisions.

 

 

Techniquement, pour avoir les plantes adaptées à son sol, à son climat, à ses objectifs de production, de vente etc… on peut selectionner les plantes qui ont les caractéristiques voulues et leur semence génération après génération. C’est ainsi qu’on est par exemple passé d’une carotte blanche et fibreuse, pas très bonne à la carotte délicieuse qu’on connait maintenant.

On peut aussi, et c’est beaucoup plus rapide, acheter des semences hybrides (hybride = croisement entre deux variétés distinctes d’une même espèce) qui ont déjà toutes les caractéristiques que l’on cherche (hors l’adapation au sol), puisqu’on choisi précisément dans tout le catalogue LA tomate (ou le concombre, la salade, la carotte…) qui cumule tout ce qu’on veut.

On utilise plus facilement les hybride F1 (F1 = génération 1) parce qu’elles sont obtenues très rapidement avec un très grand choix de toutes les caractéristiques possibles, et je dirais même imaginables si on combine avec de la technique OGM (c’est un autre sujet, je ne l’aborderai pas). De plus comme indiqué plus haut, on n’a plus trop le droit de faire de la selection quand on n’est pas semencier, puisqu’on ne peut pas réutiliser ses semences. (enfin, on devrait d’ailleurs écrire « ces » plutôt que « ses »).

 

Un peu de base de génétique

Chaque individu vivant est composé de cellules, comportant un noyau, renfermant l’information génétique (propre à chaque individu), sous forme de chromosomes. Sur les chromosomes sont inscrit les gènes qui codent l’information de la moindre de nos caractéristiques (couleur des yeux, forme des yeux, longueur des bras, certaines maladies,  etc.. etc..). L’ensemble de ce code est appelé génotype. toutes les cellules d’un même individu renferment la même information génétique.

Les chromosomes sont toujours doublés (on dit qu’on a 2n chromosomes : 2*23 chez l’homme et 2*12 chez la tomate par exemple). Par contre les gènes contenus sur chaque paire de chromosome ne sont pas forcément identiques (attention, c’est là que ça se complique un peu). Un gène code pour une caractéristique précise comme la couleur des yeux, mais il peut coder « yeux bleus » sur le premier chromosome de la paire et « yeux marrons » sur le second. Cela ne veut pas dire pour autant que vous aurez un oeil bleu et un oeil marron : imaginez, c’est ainsi pour chacune de la plus infime de vos caractéristiques et la moitié vient de votre père, l’autre de votre mère. Personne n’est coupé en deux dans le sens de la hauteur avec une moitié « père » et une moitié « mère ». Non, en fait certaines caractéristiques sont dominantes et en cas de « conflit » c’est celle qui s’exprime. Les gènes dominant sont donc appelés « dominants » et ceux qui sont dominés sont appelés « récessifs ». Par exemple, pour les yeux, la couleur marron est dominante sur la couleur bleu. Pour avoir les yeux bleus il faut donc avoir 1 gène « bleu » sur chaque chromosome de la paire. Si il y a un gène bleu et un gène marron, vos yeux seront … ? (réponse )

Il y a des subtilités sur ces histoires de dominance, mais en gros vous avez compris le principe, ça suffit pour expliquer le coup des semences F1 et de leur descendance.

L’ensemble des caractéristiques finalement exprimées du génotype constitue le phénotype (les yeux bleus, les cheveux blonds, le groupe sanguin et des centaines d’autres trucs). Pour ce qui est de la tomate, on va s’intéresser à ses caractéristiques organoleptiques (goût forme odeur couleur) vu que c’est ce qui nous intéresse en tant que mangeur de tomates.

 

Comment obtient-on une semence hybride F1 ?  : 

On veut obtenir une tomate ronde et rouge, avec un goût délicieux, mais ce goût on ne l’a que dans une tomate de forme allongée.

On va donc jouer avec les lois de la génétique et les connaissances qu’on en a (et celles que vous venez pour certains d’acquérir), à partir de deux parents, une tomate jaune (J) ronde (R) et au goût de poisson (P) et une tomate allongée (A) rouge (Ro) de ce goût délicieux (D) si particulier.

On part des hypothèses suivantes : (fictives, je ne connais rien en vérité des loi de dominance chez la tomate, mais on va faire semblant) :

  • la forme ronde est dominante sur la forme allongée (R>A),
  • le goût délicieux est dominant sur le goût de poisson (D>P),
  • la couleur rouge est dominante sur la couleur jaune (Ro>J).

Un schéma va vous permettre de comprendre (je l’espère) :

GraphF1

On obtient donc en 1 génération TOUTES les caractéristiques désirées : rouge, ronde et bonne. Au lieu que cela prenne plusieurs générations quand on procède par sélection.

 

Que se passe-t-il si on resème une graine issue d’une tomate F1 ?

On va chercher à comprendre se qu’il se passe d’un point de vu génétique quand on part de deux parents F1 créés précedemment, qui ont donc comme caractéristiques organoleptiques d’être bien ronde rouge et délicieuses, mais qui contiennent quand même dans leur génotype des informations indiquant jaune, allongée et goût de poisson.

Quand on resème une graine de cette tomate, on obtient des fleurs, contenant les informations de ce qui correspond à la mère sur le pistil et de ce qui correspond au père sur l’étamine. Sur les plantes c’est donc deux fois la même chose puisqu’on part d’une même graine : il y a possibilité de recombinaison entre familles quand la pollinisation se fait par un tiers (une abeille par exemple qui va aller d’une tomate X à notre tomate F1) mais la tomate est autoféconde et de simples vibrations (manuelle ou le vent) permettent de faire tomber le pollen de l’étamine vers son propre pistil. On part donc de l’hypthèse que c’est ce qui s’est produit. (et d’ailleurs pour s’assurer la bonne pollinisation de nos tomates, concrètement c’est ce qu’on fait 2 à 3 fois par semaine, donc c’est la théorie la plus vraisemblable).

Malgré cette autofécondation, il existe une grande quantité de combinaisons possibles de tous ces gènes (ça aurait été un nombre sacrément réduit si je n’avais choisi qu’une caractéristique, mais  beaucoup moins drôle).

Voyons toutes les possibilités de recombinaisons : (cliquer pour agrandir le dessin)

F2-combinaisons.xls

 

Pour résumer, d’un point de vue organoleptique, voici toutes les combinaisons possibles avec leur probabilité :

Phenotypenote

Dans notre cas précis, la tomate la plus fréquente est donc la tomate ronde rouge et délicieuse. C’est bien celle qui nous intéresse, mais avec 27 fois sur 64, ça ne fait même pas 1 chance sur 2 de l’obtenir en resemant une des graines de la F1. C’est donc très loin d’être une probabilité suffisante pour tenter le coup quand on doit produire des tomates en quantité et en qualité suffisantes pour bien les vendre.

Si on fait l’expérience et qu’on obtient par hasard en F2 la tomate voulue, on peut renouveler l’expérience de créer une F3. Il y aura à nouveau plusieurs possibilités : soit exactement les mêmes si la tomate F2 était celle qui avait le génotype identique aux F1 soit d’autres possibilités avec des probabilités différentes si elle avait le même phénotype mais pas le même génotype. Quand on a le droit et le temps de  faire de la sélection, on peut ainsi, génération après génération, obtenir une tomate dont la génotype sera exclusivement R/R + D/D + Ro/Ro dont toute la descendance le sera également puisqu’on aura réussi à passer outre le phénomène de récessivité. On dit qu’on a alors obtenu une tomate stabilisée.

 

En conclusion :

Les hybrides (F1) ne sont pas stériles, mais non-reproductibles : ça veut dire qu’on ne peut pas reproduire la semence à l’identique (sauf hasard naturel, le calcul de la probabilité est cependant possible comme on vient de le voir, si on connait les règles de dominance). Le problème d’utilisation de leur semence est donc qu’on ne sait pas ce qu’on va obtenir.

 

Un document d’ARTE sur le même sujet et en dessin ici.

Cet article a 9 commentaires

  1. Angélique

    Explications, d’une extrême limpidités, merci.

  2. Delphine

    Tant mieux ! c’est que je suis arrivée au résultat que je voulais alors. Merci de ton appréciation. 🙂

  3. Koridwen

    Je confirme, c’est très clair, je trouvais ça assez compliqué et là j’ai tout compris.
    Merci! 🙂

    (Et je suis très-très énervée contre l’interdiction de reproduire et d’utiliser ses propres semences pour un maraîcher, paysan, jardinier, je trouve ça hallucinant que ces lois passent!
    Tilt : j’y pense, je dois ressentir la même chose que les amérindiens qui voient les blancs acheter et vendre des terres, ça doit leur sembler tout aussi ahurissant, la terre et ses semences appartiennent à tout le monde… normalement.)

  4. Delphine

    Merci Kori 🙂

    oui bien d’accord avec toi sur tout ça. Et c’est impuissance est absolument rageante.

  5. Koridwen

    Tu m’étonnes, et ça doit être encore plus rageant quand c’est ton outil de travail! :s

  6. Catherine

    Merci et bravo Delphine pour cette démonstration et ces explications très intéressantes que je n’avais pas encore eu le temps de lire!

  7. Koridwen

    Coucou Delf, j’ai une question et tu pourras sûrement m’aider. 🙂
    Je viens de voir qu’il existait des choux-fleurs colorés (il y en a des jaunes, des verts et des violets). Là l’article parle des violets : http://www.semencemag.fr/varietes-choux-fleurs-colores.html
    Est-ce qu’il s’agit ici de sélection ou d’hybridation?
    Je me pose la question parce que pour moi il semble s’agir de sélection (ils ne font que sélectionner les graines des plus colorés) mais certaines personnes parlent d’hybridation.
    Voilà, si jamais tu trouves du temps dans ton emploi du temps de ouf!

  8. Delphine

    Salut Kori

    j’en sais fichtre rien ! d’après l’article, je comprends comme toi que c’est de la selection. Mais dans mon catalogue de semence je vois des brocolis violet F1 et ici http://www.graines-voltz.com/chou-fleur-diversification-2-24334-22029-var.aspx des choux fleurs colorés F1, ce qui laisse à penser qu’il s’agit d’hybridation.
    m’est avis que c’est le deux, d’abord une selection pour avoir la couleur, puis une hybridation pour avoir la couleur et le goût et les resistances et toutes les caractéristiques voulues.
    c’est ce qui parait le plus logique

    après j’aime pas du tout ces trucs là, je trouve pas ça du tout appétissant !

  9. Koridwen

    Oui c’est très possible, merci pour ta réflexion!
    Après peut-être qu’il existe les deux, sélectionnés et sélectionnés-hrybrides.

    Et je suis comme toi, j’aurais l’impression de manger du chimique!

Laisser un commentaire

deux × deux =